Maloin

Maloin dit aussi “le Blair” était cantonnier dans mon village natal,
dans le nord de la France. Il vivait seul, parlait peu et n’intéressait
pas grand monde.
Pour moi, c’était un original, une sorte de clown sans paroles qui
balayait les feuilles mortes dans la cour d’école, titubait dans la rue
en sortant du café, cassait des cailloux à la carrière du Gros-Faux
pour reboucher les nids de poule. Il avait aussi une passion pour les
fleurs. Chez lui, à la sortie du village, il y en avait partout.
Il me faisait rire quand je le regrdais par la fenêtre de la classe. Il se
parlait, marmonnait la clope au bec, levant les bras au ciel quand
une feuille morte ou un papier s’envolaient de sa brouette.
Un soir, on l’a retrouvé mort, enseveli sous l’éboulement de la carrière.

Maloin est une icône.
C’est une sorte de sacrifié acceptant son sort de manière poétique.
Etre parmi les hommes est un challenge. On dit qu’il est de plus en
plus difficile à mener. Pas sûr...
Maloin le sacrifié est une figure de l’humilité. Il fait partie de tous
ces gens de peu qui traversent l’histoire et la littérature. C’est un
homme fait de tous les hommes et qui les vaut tous.
Il n’est pas mort. Il est partout ou la violence agit. Dans le monde
comme dans le village.
Hier, il était cantonnier, maintenant il est vétérinaire à la ferme de
Babylone.
Il soigne et acceuille tous les animaux cassés, joyeux, mélancoliques.
Il les “rafistole” avec des bouts de ficelles, des clous...
Il faut imaginer Maloin heureux, comme Sysiphe avec son rocher.
Cette ferme de Babylone est le dernier lieu avant le paradis, c’est
aussi l’endroit où je suis, la peinture comme lieu de vie.